Les répercussions sous-estimées des micro-agressions
Les personnes vivant avec le VIH sont constamment exposées à des micro-agressions, bien que celles-ci soient souvent banalisées. Pour prévenir la discrimination et ses lourdes répercussions, il est important, d’une part, de la reconnaître et de la nommer, et, d’autre part, que les personnes concernées développent des stratégies leur permettant de gérer ce genre de situation.
Afin d’aborder la thématique des micro-agressions, le présent article contient des témoignages et des déclarations qui peuvent blesser.
Anja Glover | Novembre 2023
Le monitorage des discriminations en raison du statut sérologique VIH mené par l’Aide Suisse contre le Sida met en évidence qu’encore aujourd’hui les personnes vivant avec le VIH sont quotidiennement confrontées à la stigmatisation et à la discrimination. Dans la moitié des cas dénoncés, les faits se sont déroulés dans des services de santé. Ces données ne représentent certainement qu’à une petite partie des situations existantes. Pour autant, les résultats correspondent aux autres sources en la matière. Ainsi, dans une enquête européenne de 2017 menée auprès de personnes vivant avec le VIH, près d’un tiers d’entre-elles ont déclaré avoir été confrontées à une discrimination en raison de leur statut sérologique au court des trois dernières années. Les personnes précisent dans l’étude de Christiana Nöstlinger et de son équipe de recherche que dans plus de la moitié des cas, les faits ce sont déroulés dans le domaine de la santé. Pour les personnes résidant en Suisse, près d’un quart d’entre-elles ont été confrontées à de la discrimination dans un service de santé. L’enquête Stigma menée en 2022 par l’ECDC auprès de PvVIH montre que l’anticipation de telles situations a un impact sur le recours aux soins : les personnes ont peur d’être traitées différemment par le personnel médical voire qu’on les traite mal ou qu’on leur refuse les soins. Elles ont également peur que leur statut sérologique soit révélé si elles consultent un service de santé.
L’ONUSIDA définit la stigmatisation et la discrimination sur la base du statut sérologique comme un processus de dévaluation des personnes vivant avec le VIH ou associées au virus. La discrimination suit la stigmatisation et se caractérise par un traitement inéquitable et injuste des individus en raison de leur statut VIH réel ou perçu.
Ne pas se révéler permet d’éviter la stigmatisation mais contraint à la gestion du
secret et maintient dans la peur constante d’être découvert∙x∙e.
Etymologiquement et historiquement, la notion de « stigmate » renvoie à une marque qui était apposée à certaines personnes afin de pouvoir les identifier et les assigner à une place sociale inférieure. Le sociologue américain Erving Goffman a théorisé dès 1963 le phénomène et distingué les stigmates visibles de ceux qui ne le sont pas, les personnes stigmatisées et les personnes stigmatisables. Contrairement à la couleur de peau ou au poids corporel, le statut sérologique est invisible. La personne concernée est alors dans le dilemme de la divulgation (« coming out »). Ne pas se révéler permet d’éviter la stigmatisation mais contraint à la gestion du secret et maintient dans la peur constante d’être découvert∙x∙e. Se révéler, c’est prendre le risque d’être stigmatisé∙x∙e par la personne auprès de qui on le fait mais également par toutes les personnes à qui l’information sera divulguée.
La stigmatisation et la discrimination liées au statut VIH sont souvent intersectionnelles. Ce virus ayant été le plus souvent transmis lors de rapports sexuels ou par le partage de matériel d’injection, les personnes vivant avec le VIH sont exposées aux présupposés, aux questionnements et aux jugements moraux relatifs à la sexualité et à la consommation de substances. L’épidémie touchant particulièrement certains groupes de population, la stigmatisation et la discrimination liées au statut VIH viennent s’entrecroiser avec d’autres. Ainsi, les femmes, les personnes trans, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et/ou les personnes racisées, consommatrices de substances… vivant avec le VIH sont particulièrement exposé∙x∙e∙s à la stigmatisation en raison de leur statut sérologique.
La stigmatisation et la discrimination en lien avec le statut VIH ont un impact direct sur les personnes vivant avec le VIH. La culpabilité et la honte, ainsi que la peur ou encore les violences dont elles sont les cibles ou les témoins affectent l’esprit et le corps des personnes vivant avec le VIH. Cela influence leur image et leur estime d’elles-mêmes, les conduit à un sentiment de perte de contrôle sur leur vie et in fine péjore leur santé mentale, physique et sociale. Dans le domaine de la santé, l’impact indirect peut également être extrêmement dommageable. La peur de la stigmatisation et de la discrimination peut conduire les personnes vivant avec le VIH à renoncer aux soins ou encore à ne pas révéler leur statut sérologique. Ainsi, les personnes vivant avec le VIH ne peuvent pas accéder aux soins dont elles ont besoin et le personnel de santé ne peut pas leur proposer des prestations adéquates et de qualité.
Le statut VIH ne devrait être demandé que lorsque cela à une pertinence
Les recherches ont mis en évidence les causes et les mécanismes de la stigmatisation et des discriminations sur la base du statut VIH. Cela a permis de définir des pistes d’interventions pour prévenir ces phénomènes à l’avenir afin que les personnes puissent bien vivre avec le VIH et prendre soin de leur santé.
Risk management
Le statut VIH ne devrait être demandé que lorsque cela à une pertinence. Si cela n’a pas de pertinence, il n’y a aucune obligation à révéler son statut VIH.
Ensuite, les informations permettant de connaitre le statut VIH devraient être sécurisées et n’être accessibles qu’aux personnes pour qui cela est nécessaire. Les indications relatives au statut VIH ne devraient en aucun cas figurer parmi les données administratives ou être affichées dans des espaces accessibles à des tiers (chambre d’hôpital, salle de repos du personnel…). En cas de doute, il est possible de demander à ce que l’information ne soit pas enregistrée. Il est également possible de demander à ce qu’elle soit supprimée.
Les personnes vivant avec le VIH devraient pouvoir être reçues dans les mêmes services et aux mêmes plages horaires que les personnes ne vivant pas avec ce virus.
Fear management
S’informer concernant la transmission du VIH permet de réduire le manque de connaissances à l’origine de stigmatisation et discrimination consécutives de peurs infondées. Les mesures de protection devraient être les mêmes quel que soit le statut VIH et chacun·x·e devrait avoir accès aux soins qui lui sont nécessaires. Les refus de soins ne sont pas acceptables.
Si l’on craint d’être confronté·x·e à de la discrimination dans un service de santé, il est possible de s’adresser à un service spécialisé dans le VIH ou à un service communautaire actif auprès des populations les plus exposées comme les Checkpoints pour les hommes gay, bi et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Les études montrent que ces services sont le plus souvent adéquats concernant l’accueil des personnes vivant avec le VIH. S’ils ne proposent pas eux-mêmes l’offre, ils pourront orienter vers un·x·e prestataire friendly de la région.
Moral management
Tout le monde devrait interroger ses représentations concernant le VIH et les personnes vivant avec, comme nous devrions le faire concernant tout facteur pouvant conduire à une discrimination (le sexe/genre, l’orientation sexuelle, l’appartenance ethnique ou culturelle, la classe sociale, les capacités physiques et intellectuelles…). Sans cela, nos préjugés vont biaiser notre rapport à l’autre et nous conduire à poser des actes stigmatisants et discriminants, souvent sans nous en rendre compte. Dans le domaine de la santé comme dans d’autres, ce n’est qu’en faisant ce travail sur nous-mêmes qu’il sera possible de reconnaitre la capacité des personnes vivant avec le VIH à prendre soin d’elles-mêmes et à accepter les décisions qu’elles prennent en ce sens.
Impact management
S’informer concernant la stigmatisation et la discrimination sur la base du statut VIH permet de les identifier, de les prévenir ou d’y mettre un terme. Les personnes vivant avec le VIH et les organismes qui les accompagnent sont des partenaires essentiels dans ce domaine.
Lorsque l’on est confronté·x·e à la stigmatisation ou à la discrimination, il est important d’en parler. Les signaler permet de les rendre visibles. Il est possible de le faire auprès de l’Aide Suisse contre le Sida, directement au service juridique ou par l’intermédiaire d’un organismes membre. L’Association nationale collecte les données afin d’adresser un rapport aux autorités fédérales. Si on le peut, cela vaut la peine de le faire directement à la personne qui a posé l’acte et/ou auprès de l’institution où les faits se sont déroulés. Il est également possible d’en parler entre personnes vivant avec le VIH et/ou avec des professionnel·x·le·s. Cela permet de surmonter les sentiments négatifs que de telles situations peuvent nous faire éprouver et de savoir comment riposter, individuellement et collectivement.