De l’autre côté de l’espoir : Aide Suisse contre le Sida

De l’autre côté de l’espoir

Les instituts suisses de recherche sont de plus en plus conscients de l’importance qu’acquiert l’implication des patient∙e∙s et du public (IPP), autrement dit la démarche consistant à impliquer des patient∙e∙s et des représentant∙e∙s du public en tant que partenaires à part entière dans la conception des travaux de recherche, leur réalisation et leur évaluation.

©Nadja Häfliger

David Jackson-Perry

est coordinateur de projets à l’Antenne de la consultation des maladies infectieuses du CHUV et spécialiste de la santé sexuelle. Il s'investit dans la lutte contre la stigmatisation et la discrimination en lien avec le VIH et s'engage en faveur de l'amélioration de l'accès aux soins et de la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH.

David Jackson-Perry | Avril 2022

La Swiss Clinical Trial Organisation (SCTO) a fait de l’IPP une priorité stratégique. En 2021, le Fonds national suisse (FNS) a impliqué quatre représentant∙e∙s des patients dans le processus d’évaluation des demandes de financement. De son côté, le conseil scientifique de l’étude suisse de cohorte VIH (SHCS) a admis deux représentant∙e∙s des patients depuis 2010 et encourage désormais activement l’IPP dans les projets de la cohorte.

Alors que l’IPP fait partie intégrante de la recherche depuis des années dans certains pays et qu’elle présente de nombreux avantages, elle est encore relativement récente en Suisse. Comme l’indique Matthias Peter, président de la Division Biologie et médecine du Conseil de la recherche du FNS, le FNS espère que la Suisse va pouvoir combler son retard en la matière, sachant que l’expérience des autres pays montre que l’IPP améliore la qualité et la pertinence des études.

La recherche sur le VIH devrait se trouver en première ligne dans le cadre de ce «rattrapage». Petit rappel historique: le comité consultatif des personnes vivant avec le VIH a présenté les «Principes de Denver» à l’occasion du Congrès national sur le sida de 1983 aux Etats-Unis. Ouvrant la voie à l’IPP et à une vraie représentation, ces principes recommandaient aux personnes vivant avec le VIH:

  1. de former des comités qui choisissent leurs propres représentants, qui s’adressent aux médias, qui définissent leur propre agenda et planifient leurs propres stratégies;
  2. de s’impliquer à tous les niveaux de prise de décision et en particulier d’occuper une place au sein des conseils d’administration des organismes fournisseurs de services;
  3. de participer à tous les colloques sur le sida en bénéficiant d’une crédibilité égale à celle des autres intervenants.

Les Principes de Denver ont à leur tour inspiré le principe GIPA de l’ONUSIDA qui vise une participation accrue des personnes vivant avec le VIH et qui a été intégré en 2001 dans la Déclaration d’engagement sur le VIH/sida des Nations Unies. Au début des années 1990, les activistes qui se sont engagés en faveur du traitement du VIH étaient des membres dotés du droit de vote au sein des instituts nationaux de la santé aux Etats-Unis et ils ont eu un impact considérable sur les structures de la recherche et du système de santé. Ils ont apporté une contribution essentielle à la mise sur pied de stratégies de prévention, à la planification et à la réalisation d’études cliniques, à l’élaboration de critères de diagnostic et au développement de services de santé. Dès les débuts, les personnes vivant avec le VIH ou avec un risque d’infection se sont mobilisées et se sont formées au plan scientifique, ce qui a fait d’elles l’une des représentations de patients les plus influentes de l’histoire. De ce fait, la recherche sur le VIH endosse un rôle précurseur dans le cadre de l’IPP.

La stratégie descendante des organisations nationales actives dans la recherche pourrait être renforcée par des initiatives ascendantes adaptées à la pathologie en cause et émanant de cliniques et d’organisations de lutte contre le VIH. L’Antenne de la consultation des maladies infectieuses du CHUV à Lausanne est en train de mener un tel projet pilote, le HIV Community Council (HIV-CC), autrement dit le conseil de la communauté VIH. Ci-après quelques-uns des défis associés à l’IPP et la manière dont le HIV-CC va les relever.

Quatre obstacles à la mise en œuvre de l’IPP

  1. Les chercheurs∙ses – dont un grand nombre sont ouverts à l’IPP – n’ont peut-être ni le temps ni le savoir-faire pour accéder à des partenaires issus de la communauté.
  2. Des patient∙e∙s souhaiteraient s’impliquer dans la recherche sur le VIH, mais ne sont pas conscients des possibilités existantes. Il se peut qu’ils ou elles manquent de connaissances au sujet des processus de recherche et sous-estiment la valeur de leur «vécu».
  3. Les chercheurs∙ses n’ont peut-être que peu d’expérience de l’IPP, voire pas du tout, et pensent que c’est compliqué et que cela prend beaucoup de temps. Il se peut qu’ils ou elles ne sachent pas comment établir un plan d’IPP dans une demande de financement ou comment mettre en œuvre des activités et des procédures d’IPP.
  4. Manque présumé de diversité ou de représentation: ce sont toujours «les mêmes patient∙e∙s professionnel∙le∙s» qui s’expriment.

Comment le HIV-CC relève ces défis

  1. On recrute une quinzaine de personnes vivant avec le VIH qui peuvent faire bénéficier de leur expérience la recherche et la santé publique et qui sont payées pour leur travail. Les chercheurs∙ses peuvent s’adresser à ces représentant∙e∙s de la communauté VIH sans devoir chercher de nouveaux collaborateurs ou collaboratrices à chaque nouvelle étude.
  2. On attire l’attention des membres du HIV-CC sur les possibilités de participation. Ils sont formés au langage et aux techniques de recherche.
  3. Les chercheurs∙e∙s et médecins peuvent s’adresser à la direction du projet pour obtenir une aide à la mise en œuvre des processus d’IPP, à l’établissement de propositions et de budgets pour les bailleurs de fonds, etc.
  4. Le recrutement des membres du HIV-CC vise un large éventail de personnes.

Le HIV-CC n’est pas encore au complet, mais ses membres examinent déjà trois projets pour le CHUV Lausanne/Unisanté et l’étude suisse de cohorte VIH. Ici, il n’y a que des gagnants. La recherche et le système de santé prennent en compte les besoins de la communauté VIH. Les chercheurs∙ses acquièrent des compétences extrêmement précieuses étant donné que les bailleurs de fonds et les éditions scientifiques exigent de plus en plus souvent des déclarations concernant l’IPP. Les membres du HIV-CC développent eux aussi de nouvelles aptitudes et créent des liens avec d’autres personnes vivant avec le VIH. Ils approfondissent leurs connaissances au sujet du virus en ayant accès aux processus et aux tendances de la recherche. En bref, ils acquièrent un savoir et établissent des contacts qui leur permettent notamment de jouer un rôle dans le paysage suisse du VIH. C’est important, car la mise en œuvre relativement lente de l’IPP en Suisse est symptomatique d’un autre défi: l’absence d’une représentation véritable et de haut niveau des personnes vivant avec le VIH au sein de nos structures VIH.

En Suisse, les personnes vivant ouvertement avec le VIH qui occupent des postes décisionnels dans des structures en lien avec le VIH se comptent sur les doigts d’une main.

Contrairement à ce qui était prévu dans les Principes de Denver, les personnes vivant avec le VIH en Suisse ne choisissent pas leurs propres représentant∙e∙s et ne définissent pas leur propre agenda. Ils ne sont pas impliqués à tous les niveaux de prise de décision et ne siègent pas non plus dans les conseils d’administration des organismes fournisseurs de services. En Suisse, les personnes vivant ouvertement avec le VIH qui occupent des postes décisionnels dans des structures en lien avec le VIH se comptent sur les doigts d’une main.

Pourquoi l’implication des personnes vivant avec le VIH est-elle importante? Pour commencer, parce que la réalité du VIH ne cesse d’évoluer; une possibilité de se tenir au courant consiste à être au cœur des événements par le biais d’une représentation pertinente des patient∙e∙s. En outre, nous autres personnes vivant avec le VIH pouvons certes vivre aujourd’hui souvent une longue vie, mais pas la meilleure. Troubles psychiatriques et consommation de drogue, dépression, isolement social et insécurité financière sont extrêmement fréquents au sein de nos communautés et augmentent encore – souvent prématurément – avec l’âge à cause d’une multitude de comorbidités et de la polypharmacie. En Suisse, le taux de suicide chez les personnes vivant avec le VIH est trois fois plus élevé qu’au sein de la population générale. La stigmatisation liée au VIH est endémique et a des répercussions négatives sur la prévention, le dépistage, la qualité de vie et toute la cascade du traitement. Pour améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH et prévenir de nouvelles transmissions, il faut aborder ces thèmes en partant des besoins des patient∙e∙s.

Au cours des premières années de l’épidémie, alors qu’il n’y avait pas encore de traitement efficace, nous étions contraints d’être visibles: le VIH se lisait sur nos visages et nos corps. Comme nous étions visibles, on nous écoutait. Paradoxalement, cette visibilité nous donnait un pouvoir: les personnes vivant avec le VIH faisaient avancer la stratégie politique, le développement du traitement et la mise en place des services de santé. Aujourd’hui, nous pouvons décider de nous taire et de mener une longue vie dans les conditions susmentionnées. Nous avons perdu le sentiment d’urgence. Nous avons perdu notre présence dans les processus décisionnels étant donné que le traitement nous permet de vivre plus longtemps et plus sereinement et que la stigmatisation liée au VIH nous retient de révéler notre statut.
La stigmatisation n’a pas évolué autant que les possibilités de traitement, contribuant à ce que les personnes vivant avec le VIH n’ont pas de représentation visible et pertinente. C’est un cercle vicieux: l’absence de personnes vivant ouvertement avec le VIH renforce l’idée que ça n’est pas possible. Faute de personnes occupant des postes à responsabilité qui évoquent leur statut ouvertement, nous continuons à souffrir de la stigmatisation du VIH. Tout comme la visibilité croissante des personnes LGBTQ+ normalise leur vie, celle des personnes qui parlent ouvertement de leur statut VIH va réduire la stigmatisation et dédramatiser le fait de vivre avec le virus.
Le fait que des organisations au service de certains groupes de la population n’aient pas aujourd’hui, dans toutes leurs structures, une représentation adéquate et pertinente a quelque chose d’anachronique. Or ironiquement – eu égard au rôle central que devraient jouer les personnes vivant avec le VIH dans la stratégie politique, les décisions liées aux traitements et la prévention – cette exigence bien présente par le passé est tombée dans l’oubli. Les communautés de chercheurs, les médecins et les personnes vivant avec le VIH ou avec un risque d’infection sont les perdants de cette amnésie collective.
Nous avons des alliés brillants et engagés, des chercheurs et des médecins spécialistes du VIH de renommée mondiale, un système de santé professionnel et doté d’un bon financement ainsi que des partenaires dans l’industrie qui comprennent les avantages de l’IPP. Nous avons tout ce qu’il faut pour assurer que le financement, la recherche et les services de santé répondent aux préoccupations et aux besoins des personnes vivant avec le VIH. Il nous faut maintenant des solutions concrètes pour replacer les personnes vivant avec le VIH au centre des processus décisionnels qui déterminent notre vie et notre santé – au moyen de l’IPP d’une part, et d’une représentation plus vaste et pertinente d’autre part.

Un grand merci à David Haerry, au Professeur Matthias Cavassini et à deux membres du HIV-CC pour leurs suggestions et leurs points de vue.

Conditions d’une représentation pertinente des PVVIH en Suisse:

  1. Les personnes vivant ouvertement avec le VIH doivent s’engager dans les structures VIH au niveau décisionnel afin de créer la «banalité sociale» et de combattre la stigmatisation.
  2. Leurs fonctions et leurs responsabilités doivent être définies: le statut de membre du comité ne doit pas être un simple alibi visant à remplir les conditions statutaires.
  3. Elles doivent être connectées à un vaste réseau de personnes vivant avec le VIH afin de garantir une véritable représentativité et d’être au cœur des événements tandis que le traitement, le contexte et les groupes de population évoluent.
  4. Elles doivent être le porte-parole de ceux que l’on entend moins et renforcer leur voix.
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