«L’étude de cohorte VIH, un trésor inestimable» : Aide Suisse contre le Sida

«L’étude de cohorte VIH, un trésor inestimable»

L’étude suisse de cohorte VIH essaie de mieux comprendre le virus grâce à une véritable mine de données. Aucune autre maladie infectieuse n’a été aussi abondamment documentée – et d’autres domaines de la santé peuvent désormais en profiter.

Huldrych Günthard
est le directeur adjoint de la division des maladies infectieuses à l’Hôpital universitaire de Zurich. Il a collaboré à l’étude suisse de cohorte VIH de façon intermittente de 1991 à aujourd’hui. Après avoir été membre et président du conseil scientifique, il est devenu président de la cohorte et mène régulièrement des recherches pour le Fonds national suisse. En parallèle, il exerce également la médecine du VIH sur un plan pratique. Il encourage sans cesse la relève à soumettre d’autres projets émanant de la cohorte afin que l’on puisse en tirer le plus d’enseignements possible.

Seraina Kobler | Mai 2022

Lorsque Huldrych Günthard s’est mis à travailler sur la cohorte pour la première fois en tant que jeune médecin assistant au début des années 1990, le ruban rouge devenait le symbole de la lutte contre le sida et les membres restants du groupe Queen créaient une fondation en mémoire de Freddie Mercury, leur chanteur récemment décédé du virus. A ce moment-là, il n’y avait pour ainsi dire pas de médicaments contre le VIH et la médecine ne pouvait que lutter contre les maladies opportunistes, autrement dit celles qui se déclarent lorsqu’une personne est séropositive.

Les premiers traitements antirétroviraux capables d’empêcher la prolifération du virus ne sont apparus qu’en 1996. «Ce fut le grand tournant, déclare Günthard. Pour moi, la transformation d’une maladie mortelle en infection chronique tenait du miracle médical.» Il se souvient qu’à cette époque, des personnes qui s’étaient retirées dans un hospice pour y passer leurs dernières semaines se sont relevées de leur lit de mort.

Pour quiconque souhaite jauger ce miracle médical et en tirer des enseignements pour d’autres maladies, l’étude suisse de cohorte VIH recèle un trésor inestimable avec ses échantillons et données qui non seulement documentent toute l’évolution de l’épidémie, mais permettent aussi d’améliorer le traitement futur des patientes et patients. Ces mégadonnées ont commencé à être réunies avant même que le terme de «big data» ne devienne très tendance et que l’on se mette à collecter chaque jour d’énormes volumes de données pratiquement dans tous les domaines. En médecine, le processus est bien plus avancé que ne pourraient le laisser entendre certaines voix critiques. Les gros volumes de données, même de nature purement descriptive, sont extrêmement précieux pour la médecine clinique. Ainsi, ils sont déterminants pour identifier notamment les effets secondaires à long terme des médicaments et les associer à certaines caractéristiques. Grâce à l’étude suisse de cohorte VIH, les données ne doivent plus être filtrées péniblement en épluchant les dossiers médicaux: comme elles sont collectées en continu, elles forment une solide base de connaissances qui ne cesse d’être améliorée par des études additionnelles soutenues par le Fonds national suisse.

Huldrych Günthard, qu’entend-on précisément par cohorte?

Il s’agit d’une sorte de réseau de cliniques regroupant tous les grands hôpitaux universitaires de Suisse tels que Zurich, Genève, Lausanne, etc., mais aussi St-Gall et Lugano de même que d’autres hôpitaux privés et régionaux. Tous assurent le suivi des patientes et patients conformément à nos protocoles. En d’autres termes, des données sont saisies tous les six mois de manière structurée – notamment concernant les pathologies qui caractérisent le sida en tant que maladie, mais aussi d’autres pathologies comme les infections sexuellement transmissibles, les maladies cardiovasculaires ou l’hépatite. Cela nous permet d’établir des liens là où il pourrait y en avoir.

Comment la collecte de données a-t-elle évolué?

Autrefois, les gens mouraient bien plus rapidement. On ne pouvait pas se payer le «luxe» de songer à un taux de cholestérol trop élevé étant donné que l’on n’avait pas les moyens de combattre le virus et qu’il était mortel. Par conséquent, la collecte de données a évolué au fil du temps. Nous ne pouvons pas simplement tout collecter, nous devons aussi être productifs. Nous devons intégrer la collecte de données pour la cohorte dans notre programme quotidien. Il nous faut trouver un juste équilibre entre ne pas surcharger le système et collecter malgré tout les données nous assurant des recherches pertinentes. En effet, il est aussi important de demander à la personne si elle a été exposée à des risques, comment elle se sent psychiquement ou si elle utilise régulièrement des préservatifs. C’est la seule manière pour nous de nous faire une image globale en complément aux résultats de laboratoire, ceux-ci nous permettant notamment de mesurer les paramètres hépatiques afin de détecter rapidement d’éventuels effets secondaires des médicaments.

Oui, nous avons congelé dans une ‹biobanque›,
en l’occurrence un dépôt de plasma et de cellules, quelque 1,5 million d’échantillons que nous prélevons à intervalles déterminés, d’abord tous les deux ou trois mois, puis moins fréquemment.

Le laboratoire des échantillons existe-t-il depuis longtemps?

Oui, nous avons congelé dans une «biobanque», en l’occurrence un dépôt de plasma et de cellules, quelque 1,5 million d’échantillons que nous prélevons à intervalles déterminés, d’abord tous les deux ou trois mois, puis moins fréquemment. C’est un processus de longue haleine, et il va de soi que l’on n’a jamais besoin de tout, mais grâce à cela, nous pouvons travailler depuis longtemps déjà comme le préconise aujourd’hui la «médecine personnalisée». Pour cela, nous combinons les données cliniques avec celles du laboratoire. Ce n’est que lorsque tout est réuni que nous pouvons commencer le travail. Ce que nous visons, c’est une médecine optimale.

N’a-t-on pas observé au cours des derniè-res années une nette amélioration de la tolérance des médicaments utilisés pour le traitement?

Absolument! Ils sont non seulement mieux tolérés, mais les comprimés sont aussi devenus plus petits et un nombre croissant de patientes et de patients ont pu être traités avec succès. Dans notre cohorte, 96 pour cent des quelque 8000 participantes et participants actifs ont une charge virale supprimée. Il n’est donc plus possible de détecter le virus chez eux puisqu’il est constamment inhibé. C’est fou si l’on songe au stade auquel nous étions voilà dix ans.

Où les virus se transmettent-ils encore en Suisse?

Quels sont aujourd’hui les problèmes que vous cherchez à résoudre?

Les études comme la nôtre menées sur le long terme sont extrêmement précieuses car elles dévoilent sans cesse par exemple de nouveaux effets secondaires qui ne peuvent pas être découverts dans le cadre des études plus restreintes réalisées par les fabricants. Nous avons aussi beaucoup travaillé par moments sur le développement des résistances ou sur les interactions avec d’autres médicaments rétroviraux. Plus on vieillit et plus cela devient important. Même les personnes qui ne vivent pas avec le VIH ont besoin de médicaments à partir d’un certain âge, c’est dans l’ordre des choses. Nous examinons aussi par ailleurs tout l’aspect de la pathogenèse du VIH. Où les virus se transmettent-ils encore en Suisse? Quels sont les liens qui les relient? On peut ainsi établir une sorte d’arbre généalogique du virus, bien sûr strictement anonymisé. Nous pouvons voir par exemple s’il y a des schémas à l’œuvre, si les voyages ou la migration jouent un rôle. Soit dit en passant, cette technique issue de la recherche sur le VIH a montré son importance dans le cadre de la pandémie de coronavirus. Bon nombre des technologies utilisées là n’auraient jamais pu être appliquées aussi rapidement s’il n’y avait pas eu ce travail en amont.

Cela ne vous empêche pas de devoir toujours apporter les preuves de vos recherches et de faire régulièrement acte de candidature auprès du Fonds national pour poursuivre l’étude de cohorte.

C’est comme ça. Les sciences sont un domaine hautement compétitif. Nous devons sans cesse prouver que l’on a encore besoin de nous. De plus, l’infectiologie n’est pas le domaine où l’on gagne le mieux. Nous faisons donc d’autant plus d’efforts pour décrocher malgré tout des pointures. Nous avons un bon réseau international et collaborons à des projets, car aussi grande que soit une cohorte, elle n’est jamais assez grande pour ne pas découvrir encore par exemple de nouveaux effets secondaires en collaboration avec d’autres cohortes. Cela nous distingue d’autres secteurs où c’est chacun pour soi et où certaines personnes occupent le devant de la scène. Chez nous, nous entraînons au travail interdisciplinaire des gens remarquables issus de différents domaines, la biologiste rencontre l’informaticien et la virologue le médecin. Nous avons été en avance sur notre temps avec ce modèle de recherche véritablement précurseur.

A quoi ressemblera l’avenir de la recherche liée à la cohorte? Quel serait votre souhait?

Une chose est claire: si nous voulons vraiment maîtriser la maladie, il nous faut un vaccin. De plus, il y a plusieurs hypothèses à propos du vieillissement des patientes et des patients vivant avec le VIH, notamment concernant une baisse des capacités cérébrales. Nous cherchons à infirmer ou confirmer ces thèses sur la base de nos données. La pathogenèse reste, elle aussi, indispensable, si l’on veut savoir par exemple si une évolution potentiellement plus agressive tient au génome humain ou à un génome du virus plus agressif. De tels liens aident à développer de futures approches thérapeutiques. Et pour finir, il est toujours essentiel de savoir où les personnes contractent l’infection. Y a-t-il certaines substances en jeu qui incitent à un comportement sexuel plus risqué? C’est la seule manière de pouvoir mettre en route une prévention ciblée qui reste toujours nécessaire.

Etudes en cours de la cohorte suisse VIH

  • Le tabagisme diminue l’espérance de vie plus fortement que l’infection par le VIH
    Un nombre croissant de personnes vivant avec le VIH meurent de maladies cardiovasculaires et non de cancers liés au virus. Partant de ce constat, une étude a examiné le style de vie de personnes vivant avec le VIH et constaté que les patients dont le traitement antirétroviral est efficace perdent plus d’années de vie à cause du tabagisme que de l’infection par le VIH.
  • Les virus résistants se transmettent par des personnes sous traitement et non traitées
    Bien que les traitements actuels empêchent la prolifération du virus pratiquement à cent pour cent, le nombre de résistances transférées par des personnes vivant avec le VIH n’a pas diminué. Le transfert de résistances diminue à chaque fois qu’une nouvelle classe de médicaments est introduite. Cependant, il existe bien plus de 100 mutations du virus qui entraînent des résistances du VIH aux médicaments. Celles-ci sont transférées par des patients sous traitement, mais aussi par des personnes non traitées.
  • L’adhésion au traitement influe fortement sur la suppression du virus et sur l’espérance de vie
    Une étude a examiné l’adhésion thérapeutique de personnes durant les cinq premières années de leur traitement antirétroviral. Le risque d’échec thérapeutique augmentait avec le nombre d’oublis d’une dose. Chez quelques personnes, l’absence d’adhésion a même entraîné le décès. Par conséquent, les patients sont plus systématiquement interrogés quant à leur adhésion au traitement afin de pouvoir mieux exclure d’éventuels risques.
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